mercredi 9 février 2011

Jack K. talkin' to you

Ecoutez-le, là, suspendu aux mots comme un calvaire, poète maudit avec la peau abimée par la morphine, la bouche désséchée par les mots. Lorsqu'il déclame, les autres se taisent pour écouter, les yeux grands ouverts, les genoux repliés sous leurs culs, et le silence se fait -le silence se fait toujours-
Alors, il déclame:
-Regarde, par delà la forêt, par delà les plaines, les montagnes, regarde-la, elle est tout au bout du bout du monde, et c'est la Mer, la Mer, charriant en son ventre des tonnes de poissons idiots, mort-nés décapités par une fourchette, et c'est aussi le pécheur fouetté par le grand vent du large, avec ses épaules musclées par les longues heures de travail, à remonter le filet. L'embrun à nul autre pareil, la clope rapidement fumée entre les rochers, regarde, mec, regarde ! Et si tu ne l'as jamais vue, si tu ne l'as jamais contemplée, dis-toi que tu l'as déjà ressentie, car c'est elle ! C'est elle que tu ressens dans tes tripes, c'est d'elle que tu es constitué, c'est d'elle que tu es né, et c'est encore elle qui t'emportera ! Pense au saumâtre, pense aux algues, pense au sable et aux rochers, pense aux mouettes géantes qui tournent dans ta tête en laissant éclater leurs cris presque humains, pense au froid et au chaud, pense aux vagues abattant les vaisseaux qui voyagent encore sur la grande route du rhum ! Pense à tes frères esclaves noirs dont les âmes torturées hantent les recoins des câles des bateaux, pense aux couleurs et aux formes, à la pluie et au crachin, à la bite et aux couilles tranchées d'Ouranos ! Que tous soient sauvés, que tous soient bénis, car de la Mer, nous sommes tous les enfants !
Ainsi parlait Jack K, et lorsqu'il parlait, tout le monde l'écoutait.

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